Lorsque je vis arriver ma mère, je courus me réfugier aux cabinets pour essuyer mes larmes. Est-ce que je pressentais qu’elle apportait de mauvaises nouvelles?
J’ai embrassé Maman. Lorsque je me suis dégagée de ses bras, j’étais enveloppée de son parfum. D’un seul coup, l’enchantement était rompu. Je n’appartenais plus à la campagne et au potager, j’étais redevenue Chanel N°5 de la ville. Nous sommes parties très vite. Juste avant de franchir le seuil, je ne sais quelle inspiration m’a saisie et m’a fait rebrousser chemin. J’ai dit que j’allais aux toilettes. J’ai filé à toute vitesse vers la porte du jardin et j’ai attrapé la clé du potager. Je l’ai glissée dans ma poche, la serrant dans la main droite. Sur le chemin, j’ai fait signe à mon oncle et ma tante avec l’autre main.
La gare nous attendait, déserte à cette heure de la matinée. Cela sentait la poussière et la solitude. Une odeur rance de retour au quotidien gris de la ville.
Pendant toute la durée du trajet, nous nous sommes tues. Maman lisait un magazine et je regardais le paysage sans le voir. Bercée par le balancement du train, je me suis endormie.
Dans l’appartement, maman s’est installée en face de moi au salon et elle m’a annoncé la chose! Mon père aimait une autre femme! Elle avait trouvé une lettre de cette personne dans la poche de son veston. Cela faisait des mois qu’elle le soupçonnait. Cette fois elle tenait une preuve évidente de sa trahison! Il avait avoué la vérité. Ils s’étaient disputé. Il avait hurlé, elle avait pleuré et finalement il était parti! Il ne reviendrait plus. Elle ne savait pas quand je le reverrais. Elle a ajouté, en sanglotant, que je ne devais pas être triste, que cela faisait longtemps qu’ils ne s’entendaient plus et que ce n’était pas une vie pour elle de continuer comme cela.
Je n'ai rien répondu. J’ai juste poussé un cri. Un cri strident comme si j’avais vu une horreur. Une araignée ou un serpent! Et puis ma gorge s’est serrée et plus aucun son n’est sorti. Je me sentais trahie.
Ce n’était pas tant l’annonce de leur séparation qui me bouleversait que la manière dont cela s’était passé. Ils avaient profité de mon absence pour tout saccager. Ils m’avaient projetée brutalement hors du monde de l’enfance! Pendant que je me croyais au paradis, ils avaient fabriqué leur sale coup. Je sus que je ne pourrais plus jamais leur faire confiance, ce qui était beaucoup plus grave que leur divorce!
Je n’ai même pas pleuré. Ma désolation dépassait de beaucoup les larmes. Je crois bien que j’étais en état de choc.
Je me suis couchée toute habillée sous les couvertures en regardant vers le mur. J’ai serré la clé dans ma main et j’ai senti monter une rage terrible. S’ils croyaient que je me laisserais faire sans me battre, ils se trompaient! La colère contractait mes mâchoires, mes yeux fulminaient, mes pieds frappaient contre le lit. Je n’étais plus qu’une boule de feu prête à ravager tout sur son passage.
Les jours qui suivirent, je refusai de manger et de parler. Je me mis à perdre mes cheveux et à maigrir. Ma mère prit peur et m’envoya chez une psychologue qui conseilla de m’éloigner de l’appartement familial. C’est ainsi qu’il fut décidé de m’envoyer chez ma grand-mère, dans ce village que je n’ai plus jamais quitté.
Avec le grand air de la campagne et la paisible attention de la vieille dame, ma confiance est revenue peu à peu. Ma grand-mère ne m’a jamais bousculée ni pressée. Elle attendait que les choses bougent avec une tranquille certitude. Cela se ferait le moment venu, ni plus tôt, ni plus tard. Rien ne servait de cueillir les fruits encore verts, ils n’auraient donné que des aigreurs d’estomac.