LUI. Pour toi, la fidélité dans le mariage n’a aucun sens?

ELLE. Si pour vous elle est si importante, alors je consens à un mariage de quelques heures.

LUI. De quelques heures?

ELLE. Et quoi? C’est plus agréable que pour une vie entière.

LUI. Il n’y a rien de sacré pour toi.

ELLE. (Méprisante.). Laissez tomber. D’ordinaire, c’est par des grands mots que l’on masque les petites mesquineries et les intentions louches. Et plus les actes sont vils, plus les mots sont subtils. Les hommes parlent avec inspiration de tes yeux envoûtants aux étoiles pareils, et dans le même temps se fourrent sous ta jupe. Tu deviens réaliste par la force des choses.

LUI. Vous pensez sincèrement que tous les hommes sont comme ça?

ELLE. Je serais ravie de penser autrement mais…

« Plaignons qui prévoit tout, la buse

Que les émois ne touchent pas,

Qui hait chaque mot, chaque pas,

Et qui craint que chacun l’abuse :

Le destin a glacé son cœur

Et muselle en lui toute ardeur. »1

Petite pause.

LUI. Vous connaissez même des poèmes? D’où vient cette érudition?

ELLE. Allons, allons, où voyez-vous l’érudition? Tout le monde à l’école a déclamé « Eugène Onéguine ». Toutes les fillettes romantiques connaissent ces beaux vers. (Changeant de ton et avec le sourire :) Pardonnez-moi pour cette minute de spleen. Voilà, c’est fini. Me revoilà prête à vous divertir telle une geisha japonaise.

LUI. Comment t’appelles-tu?

ELLE. C’est sans importance. De toute façon nous nous séparerons demain matin et nous ne nous reverrons jamais plus.

LUI. Je vois que tu considères cela comme une affaire réglée.

ELLE. Que nous allons nous séparer?

LUI. Non, que ce sera demain matin.

ELLE. Quand alors? Après-demain?

LUI. Non, ce soir. Nous nous lèverons de table et bonjour!

ELLE. Cet homme est un moins que rien qui invite une femme à un souper sans espérer partager son petit-déjeuner avec elle.

LUI. Mais je ne t’ai pas invitée à un souper Tu t’es toi-même invitée. Di…tes, vous faites vraiment ce métier?

ELLE. J’aime mon métier et il m’a fallu du temps pour l’apprendre. Je n’ai aucune honte. Et puis, qui je suis, c’est clair depuis longtemps pour vous et il n’y a rien à ajouter. Parlez plutôt de vous.

LUI. Il n’y a rien à dire.

ELLE. Pourquoi rien? Par exemple, vous avez déclaré avec fierté que vous étiez marié. Eh bien, parlez de votre femme.

LUI. À quoi bon?

ELLE. Je veux connaître vos goûts. La femme de la périphérie coute toujours avec intérêt ce qui est dit au sujet de la femme qui est au centre.

LUI. (Avec déplaisir.). Qu’est-ce qu’on peut dire? Une épouse est une épouse.

ELLE. « Une épouse est une épouse ». Du pur Tchékhov. « Les trois sœurs ». Elle est blonde? Brune?

LUI. Quelle importance?

ELLE. Aucune. Simple curiosité. Vous avez une photographie?

LUI. Non. Et si j’en avais eu une, je ne vous l’aurais pas montrée.

ELLE. Naturellement. Pour quoi faire l’étalage de la beauté d’une épouse pure devant une fille? Elle vous plaît?

LUI. Oui.

ELLE. Sous tous les rapports?

LUI. Sous tous les rapports.

ELLE. Même intimes?

LUI. Surtout intimes.

ELLE. Et vous n’avez même pas envie, parfois, de changement?

LUI. Pas envie.

ELLE. Vous mentez. C’est contraire à la nature de l’homme. Vous devriez le savoir, vous qui êtes biologiste. Ou psychologue?

LUI. (Étonné). Comment sais-tu que… (Avec méfiance.) Tu m’espionnes, ma parole. Je n’aime pas ça.

ELLE. (riant de son air intrigué). Je lis dans les traits du visage.

LUI. Non, sérieusement.

ELLE. C’est sérieux, je lis dans les traits du visage. Et aussi l’insigne que vous portez sur la veste. « Quatrième conférence internationale de psychologie ». Car vous êtes ici pour la conférence?