LUI. Pourquoi? Je me suis bien confessé, moi. Mais pourquoi tant de scrupules? De toute façon, nous nous séparons d’ici une heure ou deux.
ELLE. (Sur un ton de voix changé.). Avec quelle légèreté tu dis cela…
LUI. Mais nous allons bien nous séparer.
ELLE. Et il n’y a pas d’autre possibilité?
LUI. Et quelle autre possibilité peut-il encore y avoir? Le billet est acheté, le travail m’attend à la maison…
ELLE. (S’écartant de lui.). Et tu ne peux pas reporter ton départ d’un jour, d’une heure? Toute ta vie est-elle programmée et écrite jusqu’à son terme? Tu ne peux te déplacer qu’en suivant une ligne droite? Tu as peur de faire un pas à droite ou à gauche?
LUI. Je n’ai pas peur, mais…
ELLE. Non, tu as peur. Tu as peur des femmes. Tu as peur des sentiments. Tu as peur, comme tu dis, du romantisme. Tu disais que tu n’aimais pas les rencontres faciles, mais ce sont précisément ces rencontres faciles que tu préfères. Rencontres tranquilles. Qui ne te troublent pas. Qui ne changent rien. Qu’importe qu’elles ne donnent pas de joie pourvu qu’elles ne causent pas de désagréments. Sur une base raisonnable, comme en économie politique. Marchandise-argent-marchandise. Lit-argent-lit. Mais aucun amour. C’est bien ça?
LUI. « L’amour, l’amour »… Et puis après? À nouveau, la déception? À nouveau, la trahison? À nouveau, la solitude?
ELLE. Qu’est-ce que ça peut faire, ce qu’il y aura après? Ce qui compte, c’est ce qui est maintenant!
LUI. Mais je dois prendre l’avion, tu comprends bien…
ELLE. Je ne comprends pas. Pourquoi dois-tu? À qui es-tu redevable? Tu es vivant ou tu es un mécanisme d’horloge? Est-ce que ce sont les circonstances qui te mènent ou est-ce toi qui mènes ton destin?
LUI. Je ne sais pas… Je n’ai pas l’habitude de revenir sur une décision si soudainement… Et qu’est-ce que ça changera si nous nous séparons un jour plus tard?
ELLE. Qu’est-ce qui changera? Et même si rien ne change! Que cela ne soit qu’une journée de bonheur éphémère! (Se ressaisissant.). Et puis, fais comme tu veux.
LUI. Si tu veux, je vais essayer d’échanger mon billet pour avoir un vol en soirée…
ELLE. Crois-tu que je vais tenter de te persuader de rester? Même si je le voulais, je ne le ferais pas.
LUI. Qu’as-tu à t’emporter? Cela, tous les deux, nous le savions d’avance.
ELLE. Ceux qui savent d’avance me font pitié. Demain comme aujourd’hui, aujourd’hui comme hier… Si la vie est privée de surprises, alors il ne sert à rien de vivre. Regarde-toi, tu ne vis pas, tu existes. Ton cœur est vide, verrouillé. Va où tu veux avec ton avion, et quand tu veux.
LUI. (Essayant de l’enlacer.). Ne te fâche pas…
ELLE. (Repoussant sèchement ses tentatives.). Arrête. On n’embrasse pas une femme en pensant à l’avion qu’on doit prendre. Mieux vaut se séparer, et le plus vite sera le mieux.
Longue pause.
LUI. Bon, eh bien, c’est décidé. Mais je vais regretter de te quitter sans savoir rien sur toi.
ELLE. (Après une longue pause.). Si tu veux, pour que tu n’aies pas de regrets, je vais te parler de moi. J’ai promis que tu ne t’ennuierais pas et je tiendrai parole.
LUI. Ce n’est pas Henriette que tu t’appelles?
ELLE. Évidemment, non.
LUI. Et comment?
ELLE. Bon, si Henriette ne te plaît pas, appelle-moi « Juana ».
LUI. De plus en plus opaque. Mais quelle imagination!
ELLE. C’est comme ça qu’on me taquinait à l’école : « Doňa Juana ».
LUI. Pourquoi?
ELLE. J’étais une jeune fille romantique érudite. J’adorais depuis ma jeunesse Don Juan. Je croyais que des hommes tels que lui, courageux, généreux, beaux, désespérés existaient encore aujourd’hui. J’espérais que je le rencontrerais ou qu’il me trouverait. Pour lui, je voulais être instruite, intelligente, érudite… Je me suis même inscrite à la faculté des lettres seulement pour lire dans le texte original ce qui concernait mon héros préféré. Mon mémoire aussi était sur Don Juan.