ELLE. Et comment cela a-t-il fini?

LUI. Quelque deux ans après, ma femme m’a trompé avec une nullité, et je l’ai chassée. D’ailleurs, si je veux être précis, c’est moi qui ai dû partir car la plus grosse part de nos biens lui est revenue.

ELLE. Vous l’aimiez beaucoup?

LUI. Non, pas beaucoup. Ou plutôt, pas du tout. Mais ça a été un coup dur pour moi.

ELLE. Pourquoi, si vous ne l’aimiez pas plus que ça?

LUI. Eh bien, vous savez… Rentrer chez soi et trouver sa femme au lit avec un autre homme…

ELLE. Je vous comprends mieux que ce que vous croyez… Et depuis vous ne vous en êtes pas remis?

LUI. À présent, si. Mais j’essaie de me tenir le plus loin possible des femmes. Je me suis brûlé deux fois, cela me suffit. Comme dit la chanson, je ne crois plus en l’amour.

ELLE. Mais on peut rencontrer aussi des femmes sans qu’il soit question d’amour, mais comme ça… par commodité.

LUI. J’ai peur. Il suffit d’une minute d’inattention et te voilà pris au piège. Et il est extrêmement difficile de s’en défaire. Les femmes savent que nous avons besoin d’elles physiologiquement et elles en usent effrontément. Et puis, qu’y a-t-il en elles de bien?

ELLE. Chez les femmes? Beaucoup de choses. Et qu’y a-t-il de mal?

LUI. Elles vous enfoncent dans le quotidien, demandent de l’argent, aiment tirer au clair les relations, vous séparent de vos amis… (Un temps.) Mais le pire de tout, c’est qu’elles vous empêchent de travailler.

ELLE. On dit que c’est toujours plus gai avec des femmes que sans elles.

LUI. Avec des femmes comme vous, peut-être. Mais avec les autres… (Après un petit silence.) Au vrai, celles-ci aussi s’ennuient avec moi. Je suis quelqu’un qui retarde sur son époque : j’aime aller à la pêche, écouter de la musique classique…

ELLE. Vous avez été déçu par deux femmes et vous incriminez toutes les femmes.

LUI. Pour les femmes, je ne sais pas, mais les épouses, elles sont toutes pareilles. En changer une par une autre n’a aucun sens. Je ne trouve de joie que dans le travail.

ELLE. Tout ne tourne pas rond dans votre vie et c’est pourquoi le travail est pour vous un moyen de vous enivrer. Mais justement, il vous faut sans doute vous arrêter et penser à ce que vous voulez.

LUI. Nous voulons tous une seule chose, le bonheur.

ELLE. Mais nous sentons confusément en quoi il consiste. Et si nous nous sommes fixé le mauvais but, alors plus nous nous obstinons à atteindre le bonheur, plus nous nous en éloignons. Tout le malheur est là.

LUI. Oui, c’est vrai…

Pause.

Les deux sont perdus dans leurs pensées. La femme s’approche à nouveau de la fenêtre et plonge son regard dans l’obscurité, promenant, pensive, son doigt sur le carreau.

LUI. Qu’avez-vous vu par la fenêtre?

ELLE. Toujours pareil : l’obscurité, la lumière blafarde des réverbères, la pluie…Et la danse effrénée des branches nues sur la musique du vent. Le vent, le vent partout…Vous prenez l’avion demain?

LUI. Oui.

ELLE. Quand?

LUI. Tôt le matin.

ELLE. Donc, aujourd’hui, déjà. Aujourd’hui…

LUI. Je vois que vous êtes plongée dans la mélancolie.

ELLE. Oui… Nous sommes là à parler et le matin s’annonce, froid, gris, matin d’automne…

L’homme s’approche d’elle, par derrière, et doucement enveloppe ses épaules. Elle continue de regarder par la fenêtre.

LUI. Qu’écrivez-vous sur le carreau?

ELLE. Rien. Nos prénoms. « Serguéï plus inconnue égale amour ».

LUI. Et moi je ne connais toujours pas le prénom de cette inconnue.

ELLE. « Qui est-elle? Que veut-elle?

Seule des cieux connue?

Mais mon cœur fol appelle

Cette belle inconnue » …

(Elle le regarde.) Ou il n’est pas encore fol?