LUI. Cette romance de Glinka est belle, mais vous, encore une fois, vous n’avez pas répondu.
ELLE. Vaut-il la peine d’alourdir votre mémoire d’un nouveau nom de femme? Du reste, si vous voulez, appelez-moi Henriette.
LUI. Pourquoi Henriette?
ELLE. Pourquoi pas?
LUI. Vous vous appelez vraiment ainsi?
ELLE. Vous rappelez-vous l’histoire du célèbre bourreau des cœurs Casanova? Un jour il séduisit la belle Henriette, passa une nuit de rêve avec elle à l’hôtel vous voyez, à l’hôtel aussi lui offrit une bague avec un diamant et lui jura un amour éternel. Le matin, la jeune fille grava avec ce diamant quelques mots sur la vitre de la fenêtre, jeta la bague dans le jardin et disparut. (Elle continue à promener son doigt sur le carreau.)
LUI. Et ensuite?
ELLE. Bien des années plus tard, notre séducteur vieillissant s’arrêta par hasard dans ce même hôtel et dans cette même chambre. S’approchant de la fenêtre, il vit soudain les mots gravés avec le diamant. « Vous oublierez aussi Henriette. » Et Casanova comprit qu’effectivement il l’avait oubliée, que la vie passe, mais lui s’agite toujours autant, et toute nouvelle amour « éternelle » ne dure que quelques jours… Pareil pour vous, vous m’oublierez, vous m’oublierez plus vite que ne disparaîtront ces mots bien que je les aie écrits uniquement avec mon doigt sur un carreau embué.
LUI. (Il l’attire soudain à lui et l’embrasse.). Tu es merveilleuse… des comme toi, je n’en ai jamais rencontré… Tu es si déroutante… Si on doit se séparer dans quelques heures… Nous devons nous séparer… Mais je me souviendrai longtemps de toi, très longtemps!
ELLE. (Rayonnante de bonheur.). Enfin…
LUI. J’en ai eu envie tout le temps… Mais tu ne te donnais pas.
ELLE. Parce que tu ne voulais pas comme ça.
LUI. Et à présent je veux comme ça?
ELLE. À présent oui.
LUI. « Aimez elles répondaient », oui?
ELLE. Oui. Tu vois, comment on passe naturellement au tutoiement?
LUI. Je n’étais qu’un sot.
ELLE. Et tu le restes.
LUI. Tu n’as pas cessé de me remettre en place avec ton vouvoiement
ELLE. Parce qu’il le fallait.
LUI. Oui, j’ai eu un comportement indigne. Dis-moi, pourquoi m’as-tu accosté? Sois franche.
ELLE. Tu ne devines pas?
LUI. Non.
ELLE. Pourtant, je t’ai déjà expliqué.
LUI. S’il te plaît, ne me parle pas d’amour fou et subit. Nous ne nous connaissions pas.
ELLE. Je sais, cela n’est pas de ton goût. Tu penses, comme tout le monde, qu’une femme ne doit pas se comporter ainsi. Mais si je ne t’avais pas abordé, nous ne nous serions pas connus.
LUI. Tu as bien fait, mais qu’est-ce qui t’a décidée?
ELLE. Le fait, probablement, que je ne suis pas heureuse.
LUI. Toi non plus?
ELLE. Moi non plus. Est-ce qu’une femme comblée irait accoster un inconnu?
LUI. Et moi j’avais l’impression que tu n’arrêtais pas de me taquiner.
ELLE. Oui, je voulais que cela n’ait l’air que d’un jeu, parce qu’en réalité tout cela était sérieux. Et puis avec mes sarcasmes et ma vulgarité j’avais décidé de te faire partir… J’avais compris qu’il me serait difficile de te laisser moi-même.
LUI. C’est vrai?
ELLE. C’est vrai. Et cela m’a fait peur.
LUI. Tu m’as attiré dès le premier instant.
ELLE. Je sais. Tous les hommes sont attirés par toutes les femmes. Mais j’avais envie de quelque chose de plus grand, d’impossible.
LUI. De quoi, donc?
ELLE. Que veut toute femme? L’amour.
LUI. Eh bien, tu l’as presque obtenu.
ELLE. « Presque »? C’est donc que je n’ai rien obtenu… et au matin tu prends l’avion…
LUI. Ne pensons pas au matin. Dis-moi d’où tu viens, toute enveloppée de mystère?
ELLE. Aucun mystère, tout est banal et simple. Mais je ne dirai rien. Je veux rester dans ton souvenir la mystérieuse inconnue.