Le beau jeune homme plût à Elena Prekrasnaia. Il était à la fois bien fait de sa personne et tenait des propos fort courtois. De mot en mot, leurs paroles se donnèrent le change. Tout le reste du jour ils chevauchèrent côte à côte dans les champs et ils ne se séparèrent qu'au soir venu. Elena Prekrasnaia rentra au palais, Ivan de son côté retrouva ses vieux habits, se salit comme il faut avant de revenir chez lui.

Et dès lors, il en fut toujours ainsi. Tous les matins, Ivan s'en vint attendre sur son cheval enchanté que la tsarine sortit du palais. A longueur de journées, ils chevauchaient ensemble et devisaient sur mille choses. Ils ne remarquèrent même pas qu'ils étaient épris l'un de l'autre. La tsarine voulait tout savoir d'Ivan, d'où il était, où se trouvait sa maison, or Ivan avait honte d'avouer quel Ivanouchka-L'imbécile il était en réalité et comment il passait sa vie assis près du poêle à ramasser les cendres. Alors la tsarine eut recours à la ruse. Le tsar Agaphon possédait un sceau royal, et il ne s'agissait pas d'un sceau banal mais d'un sceau enchanté. Il permettait à qui s'en servait d'apposer son emblème n'importe où, et pas n'importe comment, mais en lettres d'or. Elena subtilisa le sceau impérial en cachette et s'en vint trouver Ivanouchka. Sans qu'il le sache, elle réussit à lui imprimer le sceau d'or sur la main gauche. Le soir venu, Ivan s'aperçut de cette marque étincelante. Il la couvrit de boue et se cacha près du poêle. La tsarine le matin suivant partit de village en village escortée de soldats. En arrivant dans chaque village, elle passe en revue les mains gauches de tous les hommes dans l'espoir d'y découvrir le signe d'or. Elle arrive finalement au village d'Ivanouchka-L'imbécile. Mais elle a inspecté les mains de chacun sans trouver trace du sceau.

– Ne reste-t-il vraiment pas encore un homme dans ce village? – demanda-t-elle.

– Si, – lui répond-on, – il y a encore notre Ivanouchka-L'imbécile, mais il doit ramasser les cendres assis près du feu.

La tsarine ordonna de le faire venir. Et l'on amena Ivanouchka. Vêtu de vieilles nippes, il est couvert de boue et de cendres. Non, vraiment pas la moindre ressemblance avec le jeune homme que recherchait la tsarine. Pourtant, on lui lave la main gauche et l'on découvre le sceau d'or tsarial plus aveuglant que le soleil. La tsarine ordonne alors de faire prendre un bain à ce jeune homme et de lui passer une tunique neuve. Dès qu'elle le revoit tout astiqué et vêtu de propre, Elena reconnaît l'élu de son coeur. Elle prend Ivan par la main et le conduit à son père au palais en le nommant son heureux élu. Le tsar Agaphon n'avait pas du tout envie d'un tel gendre. Mais aucune de ses tentatives ne parvint à la faire changer d'avis. Il lui promettait pourtant des cadeaux de grande valeur, ou encore il la menaçait de l'enfermer à double tour. Mais Elena Prekrasnaia s’en tenait à son choix.

– Je me marierai avec Ivan et avec lui seul. Et si tu m'amènes un seul autre prétendant, je préviens que je lancerai nos chiens contre lui!

Le tsar, malgré son tempérament brutal et capricieux, ne put rien faire du tout. Longtemps, cela le tourmenta, puis après tout, décida-t-il enfin, qu'il advienne ce que pourra. Les noces furent proclamées. Le royaume fêta trois jours durant l'événement.

Désormais, Ivan ne vivait plus caché derrière le poêle mais dans les appartements du palais tsarial. Personne ne l'appelait plus jamais Ivanouchka-L'imbécile, on ne s'adressait plus à lui qu'avec respect en le nommant de son prénom et patronyme Ivan Timoféevitch.