II
Ivanouchka-L'imbecile et le cheval enchanté
Il était une fois au royaume de Primorskoié Tsarstvo un paysan. Il cultivait le blé et vendait ses récoltes au marché. Sans être riche, il n'avait jamais été pauvre non plus. Il avait trois fils, deux fils intelligents et illen'avait troisième, le plus jeune, simplement imbécile. C'est d'ailleurs comme cela qu'on l'appelait: Ivanouchka-L'imbécile. Cela arrangeait tout le monde de le voir ainsi parmi les idiots. Ses frères ne voulaient pas partager l'héritage avec lui, et à un imbécile, on peut très bien même ne rien donner du tout. Leurs deux femmes se servaient de lui pour faire leurs courses. Sa mère lui parlait comme à un bébé. Si bien qu'lvan passait son temps à vider les cendres, toujours assis près du poêle.
Un beau jour, les deux aînés s'apprêtaient à aller au marché vendre du blé. Voilà qu'lvan vient les trouver pour leur demander:
– Emmenez-moi avec vous, j'ai envie de voir du monde, il paraît qu'il y aura des bouffons".
Les frères, à la réflexion, pensèrent que cela ne leur coûtait rien. Ils interdirent très sévèrement à leur cadet de parler aux clients, et voilà tout. Sa mère lui glissa un kopek dans la poche, que son petit puisse s'acheter des bonbons.
Arrivés au marché, les frères se mirent à vendre le blé. Ivan essaya de les aider, mais ils le disputèrent:
– Va-t-en de là, imbécile, tu vas nous gâcher nos ventes!
Alors Ivan partit faire un tour sur le marché. Il regarda les bouffons, rit aux éclats de leurs chansons et de leurs grimaces. Puis il flâna dans les allées et se retrouva sur la place où l'on vend les chevaux. Il s'approche et regarde de tous ses yeux. Les chevaux sont plus vifs et plus beaux l'un que l'autre. Ivan est en extase. Il admire leurs pattes l'une après l'autre et arrive au bout de la rangée. Il n'a déjà plus la moindre envie de rentrer quand soudain il aperçoit un jeune poulain. Allongé sur une maigre couche de foin, l'animal n'a même pas la force de soulever sa tête. Il est couvert de plaies et de croûtes. Ceux qui passent devant ne peuvent s'empêcher de lui donner un coup de pied en exprimant leur dégoût. Ivanouchka se prend de pitié pour la malheureuse bête.
– Pourquoi vous l'embêtez? Pourquoi vous lui parlez comme ça? – leur demande Ivan.
– A qui cela peut-il servir, un poulain dans cet état? – répondent les palefreniers, – rien qu'à la regarder, nos merveilles de chevaux vont être contaminés. Plus vite il crèvera, mieux ce sera.
– Et à qui est-il, ce pauvre animal?
– A personne. Quand on a amené les chevaux au marché, il s'est collé au troupeau. D'abord, on voulait le prendre, puis on a compris qu'il n'y avait rien à en tirer.
– Peut-être que moi je peux le prendre alors?
– Prends-le, – lui disent les palefreniers.
Ivanouchka prit le poulain malade avec soi. Il le lava avec de l'eau de source et, avec le kopek que sa mère lui avait donné, il acheta du pain pour nourrir la pauvre bête. Et il lui fit faire tout le trajet jusqu'à la maison en télègue.
Ses frères crièrent sur Ivan tant qu'ils purent en disant qu'il était mauvais. Au retour, ils ne laissèrent pas le poulain passer le portail de la maison. Ils prétendaient que le bétail au contact des croûtes allait être malade à son tour.
Ivan ne trouva pas d’autre solution que d'aller où ses yeux le portaient. Il choyait et câlinait son poulain. Il lui fit boire de l'eau de source et le fit paître dans les vertes prairies. Bientôt le poulain fit sa guérison, dès qu'il fût guéri, il se mit à grandir non pas de jour en jour, mais d'heure en heure. Au bout du sixième jour, le poulain souffreteux est devenu un magnifique coursier racé. Son poil soyeux poudré d'or étincèla et sa crinière légère flotte au vent. Ivanouchka baptisa son cheval Zlatibor.