On courut à la métairie, et l’on fit venir Peau-d’Âne, pour lui ordonner de faire de son mieux un gâteau pour le prince.
11. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
Quelques auteurs ont assuré que Peau-d’Âne, au moment que ce prince avait mis l’œil à la serrure, les siens l’avaient aperçu : et puis, que regardant par sa petite fenêtre, elle avait vu ce prince si jeune, si beau et si bien fait, que l’idée lui en était restée, et que souvent ce souvenir lui avait coûté quelques soupirs. Quoi qu’il en soit, Peau-d’Âne l’ayant vu, ou en ayant beaucoup entendu parler avec éloge, ravie de pouvoir trouver un moyen d’être connue, s’enferma dans sa chambre, jeta sa vilaine peau, se décrassa le visage et les mains, se coiffa de ses blonds cheveux, mit un beau corset d’argent brillant, un jupon pareil, et se mit à faire le gâteau tant désiré : elle prit de la plus pure farine, des œufs et du beurre bien frais. En travaillant, soit de dessein ou autrement, une bague qu’elle avait au doigt tomba dans la pâte, s’y mêla ; et dès que le gâteau fut cuit, s’affublant de son horrible peau, elle donna le gâteau à l’officier, à qui elle demanda des nouvelles du prince ; mais cet homme, ne daignant pas lui répondre, courut chez le prince lui porter ce gâteau.
Le prince le prit avidement des mains de cet homme, et le mangea avec une telle vivacité, que les médecins, qui étaient présents, ne manquèrent pas de dire que cette fureur n’était pas un bon signe : effectivement, le prince pensa s’étrangler par la bague qu’il trouva dans un des morceaux du gâteau ; mais il la tira adroitement de sa bouche : et son ardeur à dévorer ce gâteau se ralentit, en examinant cette fine émeraude, montée sur un jonc d’or, dont le cercle était si étroit, qu’il jugea ne pouvoir servir qu’au plus joli doigt du monde.
12. Lisez ce passage et dites si vous savez déjà comment guérira le prince. Faites le devoir !
Il baisa mille fois cette bague, la mit sous son chevet, et l’en tirait à tout moment, quand il croyait n’être vu de personne. Le tourment qu’il se donna, pour imaginer comment il pourrait voir celle à qui cette bague pouvait aller ; et n’osant croire, s’il demandait Peau-d’Âne, qui avait fait ce gâteau qu’il avait demandé, qu’on lui accordât de la faire venir, n’osant non plus dire ce qu’il avait vu par le trou de la serrure, de crainte qu’on se moquât de lui, et qu’on le prît pour un visionnaire, toutes ces idées le tourmentant à la fois, la fièvre le reprit fortement ; et les médecins, ne sachant plus que faire, déclarèrent à la reine que le prince était malade d’amour.
La reine accourut chez son fils, avec le roi, qui se désolait : « Mon fils, mon cher fils, s’écria le monarque affligé, nomme-nous celle que tu veux ; nous jurons que nous te la donnerons, fût-elle la plus vile des esclaves. » La reine, en l’embrassant, lui confirma le serment du roi. Le prince, attendri par les larmes et les caresses des auteurs de ses jours : « Mon père et ma mère, leur dit-il, je n’ai point dessein de faire une alliance qui vous déplaise ; et pour preuve de cette vérité, dit-il en tirant l’émeraude de dessous son chevet, c’est que j’épouserai la personne à qui cette bague ira, telle qu’elle soit ; et il n’y a pas apparence que celle qui aura ce joli doigt soit une rustaude ou une paysanne. »
Le roi et la reine prirent la bague, l’examinèrent curieusement, et jugèrent, ainsi que le prince, que cette bague ne pouvait aller qu’à quelque fille de bonne maison. Alors le roi ayant embrassé son fils, en le conjurant de guérir, sortit, fit sonner les tambours, les fifres et les trompettes par toute la ville, et crier par ses hérauts que l’on n’avait qu’à venir au palais essayer une bague, et que celle à qui elle irait juste épouserait l’héritier du trône.