Un cadre de la société conseilla de consulter un de ses anciens professeurs, Jacques Perret, titulaire de la chaire de philologie latine à la Sorbonne. Le professeur Perret répondit par une lettre du 16 avril 1955, dont la lecture donne un exemple intéressant de recherche terminologique:
Que diriez vous d’« ordinateur »? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. Un mot de ce genre a l’avantage de donner aisément un verbe, « ordiner », un nom d’action, « ordination ». L’inconvénient est que « ordination » désigne une cérémonie religieuse; mais les deux champs de signification (religion et comptabilité) sont si éloignés et la cérémonie d’ordination connue, je crois, de si peu de personnes que l’inconvénient est peut-être mineur. D’ailleurs votre machine serait « ordinateur » (et non ordination) et ce mot est tout a fait sorti de l’usage théologique.
« Systémateur » serait un néologisme, mais qui ne me paraît pas offensant; il permet « systémation »; mais « systémer » ne me semble guère utilisable.
« Combinateur » a l’inconvénient du sens péjoratif de « combine »; « combiner » est usuel, donc peu capable de devenir technique; « combination » ne me paraît guère viable à cause de la proximité de « combinaison ». Mais les Allemands ont bien leurs « combinats » (sorte de trusts, je crois), si bien que le mot aurait peutêtre des possibilités autres que celles qu’évoque « combine ».
« Congesteur », « digesteur » évoquent trop « congestion » et « digestion ».
« Synthétiseur » ne me paraît pas un mot assez neuf pour designer un objet spécifique, déterminé comme votre machine.
En relisant les brochures que vous m’avez données, je vois que plusieurs de vos appareils sont désignés par des noms d’agents féminins (trieuse, tabulatrice). « Ordinatrice » serait parfaitement possible et aurait même l’avantage de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie.
Il y a possibilité aussi d’ajouter à un nom d’agent un complément: « ordinatrice d’éléments complexes » ou un élément de composition, par ex. « sélecto-systémateur ». « Sélecto-ordinateur » a l’inconvénient de deux "o" en hiatus, comme « électro-ordinatrice ».
Il me semble que je pencherais pour « ordinatrice électronique »…
IBM France retint le mot ordinateur et chercha au début à protéger ce nom comme une marque. Mais le mot fut facilement et rapidement adopté par les utilisateurs et IBM France décida au bout de quelques mois de le laisser dans le domaine public.
On peut certes épiloguer sur le choix du terme: un ordinateur met-il vraiment en ordre ce qu’on lui confie? De ce point de vue, ce choix n’est pas plus critiquable que celui du mot « computer », finalement retenu en anglais (un ordinateur n’est pas seulement une machine à calculer). L’avantage du mot ordinateur est que son sens ancien et son sens religieux ne sont pas connus par la plupart des utilisateurs et qu’il est donc sans ambiguïté pour eux.
Le mot a d’ailleurs été transposé en espagnol (ordenador) et en catalan (ordinador). Les autres langues romanes ont choisi de construire un néologisme à partir des mots latins calculator et computator: computadora en espagnol d’Amérique latine, calcolatore en italien, computador en portugais et calculator en roumain.
TEXTES A LIRE
L’homme et la machine
L’homme essayait toujours de faciliter son travail.
Les premiers outils étaient des silex grossièrement taillés, plus tard c’étaient des outils en pierre, en os , en bois et puis en métal. A l’époque ces outils primitifs étaient déjà remarquables. Plus tard apparaissent les machines simples.