Depuis l’époque oů il écrivait les discours du dernier secrétaire général du parti communiste soviétique Mikhaïl Gorbatchev, enfermé cinq jours avant chaque voyage à l’étranger dans une datcha avec une dizaine d’autres plumes, de l’eau a coulé sous les ponts. Il juge rétrospectivement que son ancien mentor, “qui n’était que spécialiste des questions agricoles au sein du parti avant d’arriver au pouvoir, a fait preuve de naïveté”. M. Pouchkov est considéré comme un des plus ardents défenseurs de la politique extérieure du président russe et figure, depuis la crise ukrainienne de 2014, sur la liste des personnalités interdites d’entrée sur les territoires américain, canadien et britannique.
De M. Gorbatchev à M. Poutine, sa trajectoire résume celle de la Russie. Le dernier secrétaire général du parti communiste soviétique espérait voir son pays faire son retour au sein de la grande famille des nations européennes. Il s’inscrit ainsi dans les pas des courants occidentalistes qui cherchent à arrimer depuis le 18>ème siècle la Russie à l’Europe, à l’inverse des slavophiles prônant une voie spécifique pour leur pays11. À la fin des années 1980, ce tropisme vers l’Ouest devait revêtir une portée plus générale: l’avènement d’un ordre international débarrassé des logiques de blocs. Difficile de comprendre le comportement actuel de la Russie, sans revenir sur l’échec de ce rêve européen et sur les conclusions qu’elle en a tirées.
L’histoire commence avec l’arrivée à la tête de l’Union soviétique en 1985 de Mikhaïl Gorbatchev. Lors de son premier déplacement à l’étranger, à Paris, il lance sa formule de “maison commune européenne” à destination des dirigeants ouest européens. Le choix de le capitale française n’est pas un hasard. Le président Charles de Gaulle avait défendu l’idée d’une Europe “de l’Atlantique à l’Oural”: une Europe des nations, indépendantes de toute tutelle, dans laquelle la Russie aurait renoncé au communisme, que le général prenait pour une lubie passagère. A l’époque, Moscou n’avait guère pris au sérieux la proposition du général: l’Union soviétique tenait fermement au maintien de la division de l’Europe, à commencer par l’Allemagne, la matérialisation de sa présence au coeur du vieux continent.
Le slogan de la maison commune européenne n’est pas non pas dénué de motivation tactique. Il vise à favoriser un certain découplage entre Washington et ses alliés du Vieux continent, pour pousser les États-Unis à négocier. Vu de Moscou, la fin de la course aux armements prend un caractère d’urgence, en raison du coűt insoutenable des dépenses militaires. La parité stratégique, garante de la coexistence pacifique, demeure un point d’équilibre précaire. À deux reprises, le monde vient de friser l’anéantissement: en septembre 1983, Stanislav Petrov, un officier de la force antiaérienne basée près de Moscou déjoue une fausse alerte nucléaire, puis en novembre 1983 les Soviétiques s’affolent devant l’exercice Able Archer de l’Otan pensant qu’il camoufle une vraie attaque. “Les scientifiques venaient d’inventer le concept terrifiant d’hiver nucléaire, se remémore M. Pouchkov. Je faisais partie de ceux qui voulaient en finir avec la guerre froide”. Lors d’une .première rencontre pourtant difficile à Genève en novembre 1985, le président américain Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev tombent d’accord pour faire le constat qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais avoir lieu. En octobre 1986 à Reykjavik, le secrétaire général du parti communiste d’Union soviétique fait une proposition très audacieuse: supprimer 50 % des arsenaux nucléaires dans les cinq années à venir et leur liquidation complète dans les cinq années suivantes. Le président américain Reagan acquiesce, mais s’obstine à obtenir le champ libre pour son Initiative de défense stratégique (IDS), qui est vue par les Soviétiques comme la recherche d’une supériorité militaire