JEANNE. Reste là et n’en bouge pas. Moi, je vais t’acheter un sandwich. Compris ? Ne bouge pas.

JEANNE part. Un peu après, entre le DOCTEUR.

MICHEL. Vous avez rendez-vous ?

LE DOCTEUR. Moi ? Non.

MICHEL. (L’esprit ailleurs.) Le docteur est absent. Patientez dans la salle d’attente.

LE DOCTEUR. Mais, c’est moi, le docteur !

MICHEL. Depuis quand êtes-vous docteur ?

LE DOCTEUR. Je l’ai toujours été, et je le serai tant que je ne deviendrai pas fou, ce qui, grâce à vous, ne saurait tarder. Et maintenant, sortez et ne m’empêchez pas de travailler. Je dois écrire… (Il s’arrête.) Zut, qu’est-ce que je dois écrire ?

MICHEL. Ma carte médicale.

LE DOCTEUR. Ah ! oui. Comment le savez-vous ?

MICHEL. Je ne sais pas.

LE DOCTEUR. Bon, soit, allez dans la salle d’attente et n’en bougez pas.

MICHEL marche vers la sortie, mais s’arrête.

MICHEL. (Timidement.) Docteur…

LE DOCTEUR. (Se prenant la tête entre les mains.) Quoi encore ?!

MICHEL. Savez-vous, quel est en vérité mon principal problème ?

LE DOCTEUR. Le manque de mémoire.

MICHEL. Non. Le manque d’argent.

LE DOCTEUR. C’est le problème numéro un de tout le monde.

MICHEL. De moi, surtout. (Soudainement.) Prêtez-moi de l’argent.

LE DOCTEUR. Je vous en prêterais bien, mais vous oublierez de le rendre.

MICHEL. Non. Je vous ferai un reçu. Au pire, c’est ma femme qui vous rendra l’argent.

LE DOCTEUR. Laquelle des deux ?

MICHEL. (En confidence.) Mettez-vous à ma place.

LE DOCTEUR. Je m’y mettrais volontiers, mais je ne sais pas comment l’appréhender.

MICHEL. N’y a-t-il pas, voyons, des situations où un homme a deux femmes ?

LE DOCTEUR. (Très intéressé.) Vous en avez deux ?

MICHEL. Une, je crois.

LE DOCTEUR. Et qui au juste ?

MICHEL. (Après avoir marqué un temps d’hésitation.) Je ne sais pas.

LE DOCTEUR. Je ne comprends rien.

MICHEL. Moi non plus. Docteur, j’ai un besoin urgent d’argent. C’est une question de vie et de mort. Faites-moi un prêt. Je vous le rends aujourd’hui.

LE DOCTEUR. Combien vous faut-il ?

MICHEL. Au bas mot, mille Euros.

LE DOCTEUR. « Au bas mot » ?

MICHEL. Si mille euros sont un problème pour vous, j’accepte deux mille.

LE DOCTEUR. Rien que pour me débarrasser de vous, j’irais même jusqu’à trois mille.

MICHEL. (Réjoui.) Alors, quatre mille.

LE DOCTEUR. Quatre mille, non. Et trois, non plus. Mais mille, oui. À la condition que je ne vous revoie plus ici.

MICHEL. Ça marche.

Le DOCTEUR prend des billets, MICHEL, heureux, les lui arrache et se hâte de partir. LE DOCTEUR retourne à son ordinateur. Son travail n’aboutit à rien. Entre IRÈNE.

IRÈNE. (Inquiète.) Où est Michel ?

LE DOCTEUR. Quelque part par là. J’ai parlé avec lui à l’instant.

IRÈNE. Vous avez une mine plutôt triste. Il est arrivé quelque chose ?

LE DOCTEUR. Je suis dans une situation diablement inconfortable.

IRÈNE. Racontez-moi tout. Je pourrai, peut-être, vous aider.

LE DOCTEUR. Non, vous ne pourrez pas. On me demande une carte médicale, mais on pourrait me couper les mains que je ne me souviendrais pas de l’avoir écrite.

IRÈNE. Eh bien, faites-en une autre, où est le problème ? Vous n’allez pas vous laisser démonter par ça ?

LE DOCTEUR. Mais faire comme si la carte médicale remontait à il y a deux ans est impossible. Car l’ordinateur fixe automatiquement la date de création du fichier. Du reste, je doute que vous y compreniez quelque chose.

IRÈNE. C’est là tout votre problème ?

LE DOCTEUR. Sur un plan technique, oui. Et je ne parle pas, ça va de soi, des remords de conscience et de l’intégrité professionnelle. Qui cela intéresse-t-il de nos jours ?

IRÈNE. Il me semble, que je peux quand même vous aider.