Perdre le saint amour des choses éternelles,
Et ne plus rien comprendre à l’antique beauté,
À la forme, manteau sur le monde jeté,
Comme autour d’une vierge une souple tunique,
Ne voilant qu’à demi sa nudité pudique!
Merci donc, ô vous tous, artistes souverains!
Amants des chênes verts et des rouges terrains,
Que Rome voit errer dans sa morne campagne,
Dessinant un arbuste, un profil de montagne,
Et qui nous rapportez la vie et le soleil
Dans vos toiles qu’échauffe un beau reflet vermeil!
Sans sortir, avec vous nous faisons des voyages,
Nous errons, à Paris, dans mille paysages;
Nous nageons dans les flots de l’immuable azur,
Et vos tableaux, faisant une trouée au mur,
Sont pour nous comme autant de fenêtres ouvertes
Par où nous regardons les grandes plaines vertes,
Les moissons d’or, le bois que l’automne a jauni,
Les horizons sans borne et le ciel infini!
Ainsi nous vous voyons, austères solitudes
Où l’âme endort sa peine et inquiétudes,
Grottes de Cervara, que d’un pinceau certain
Creusa profondément le sévère Bertin.
Ainsi nous vous voyons avec vos blocs rougeâtres
Aux flancs tout lézardés, où les chèvres des pâtres
Se pendent à midi sous le soleil ardent
Sans trouver un bourgeon à ronger de la dent;
Avec votre chemin poudroyant de lumière,
De son ruban crayeux rayant le sol de pierre,
Bien rarement foulé par le talon humain,
Et se perdant au fond parmi le champ romain.
– Les grands arbres fluets, au feuillé sobre et rare,
À peine noircissant leurs pieds d’une ombre avare,
Montent comme la flèche et vont baigner leur front
Dans la limpidité du ciel clair et profond;
Comme s’ils dédaignaient les plaisirs de la terre,
Pour cacher une nymphe ils manquent de mystère :
Leurs branches, laissant trop filtrer d’air et de jour,
Éloignent les désirs et les rêves d’amour;
Sous leur grêle ramure un maigre anachorète
Pourrait seul s’abriter et choisir sa retraite.
Nulle fleur n’adoucit cette sévérité;
Nul ton frais ne se mêle à la fauve clarté;
Des blessures du roc, ainsi que des vipères
Qui sortent à demi le corps de leurs repaires,
De pâles filaments d’un aspect vénéneux
S’allongent au soleil en enlaçant leurs nœuds;
Et l’oiseau pour sa soif n’a d’autre eau que les gouttes —
Pleurs amers du rocher – qui suintent des voûtes.
Cependant ce désert a de puissants attraits
Que n’ont point nos climats et nos sites plus frais,
Où l’ombrage est opaque, où dans des vagues d’herbes
Nagent à plein poitrail les génisses superbes :
C’est que l’œil éternel brille dans ce ciel bleu,
Et que l’homme est si loin qu’on se sent près de Dieu.
Ô mère du génie! ô divine nourrice!
Des grands cœurs méconnus pâle consolatrice,
Solitude! qui tends tes bras silencieux
Aux ennuyés du monde, aux aspirants des cieux,
Quand pourrai-je avec toi, comme le vieil ermite,
Sur le livre pencher ma tête qui médite?
Plus loin, c’est Aligny, qui, le crayon en main,
Comme Ingres le ferait pour un profil humain,
Recherche l’idéal et la beauté d’un arbre,
Et cisèle au pinceau sa peinture de marbre.
Il sait, dans la prison d’un rigide contour,
Enfermer des flots d’air et des torrents de jour,
Et dans tous ses tableaux, fidèle au nom qu’il signe,
Sculpteur athénien, il caresse la ligne,
Et, comme Phidias le corps de sa Vénus,
Polit avec amour le flanc des rochers nus.
Voici la Madeleine. – Une dernière étoile
Luit comme une fleur d’or sur la céleste toile :
La grande repentie, au fond de son désert,
En extase, à genoux, écoute le concert
Que dès l’aube lui donne un orchestre angélique,
Avec le kinnor juif et le rebec gothique.
Un rayon curieux, perçant le dôme épais,