Avec le traité Start de 1990, les Occidentaux ont obtenu une réduction drastique des arsenaux nucléaires, les “démocraties populaires” sont tombées les unes après les autres, mais lorsque Gorbatchev réclame une aide économique lors du sommet du G7 à Londres en juillet 1991, les Américains disent qu’ils ne sont pas prêts à faire des investissements “non rentables”. L’effondrement de l’Union soviétique en décembre 1991 tient lieu de coup de grâce au projet paneuropéen. Dans les années qui suivent, Washington estime que la disparition du pays à qui avaient été faites des promesses orales les libère de leur engagement. C’est donc le modèle préfiguré par la réunification allemande qui s’impose au reste de l’Europe, à savoir l’absorption de l’Est par l’Ouest: l’Alliance atlantique intègre par vagues successives les anciennes démocraties populaires, plus les ex-républiques soviétiques baltes (voir la carte ci-contre). L’Union européenne en fait autant.

En 1993, M. Mitterrand s’offusque de l’adhésion des pays de l’Est à l’OTAN, une alliance qu’il voulait voir devenir plus politique, moins militaire. Aux États-Unis aussi, quelques voix s’élèvent très tôt pour alerter des dangers d’une telle dynamique. Elle risque de produire chez la Russie la réaction nationaliste qu’elle est censée prévenir. Même le père de la doctrine de l’endiguement de l’expansionnisme soviétique en 1946, George F. Kennan, dénonce dès 1997 l’élargissement de l’OTAN comme “la plus fatale erreur de politique américaine depuis la guerre”. “Cette décision de l’Occident, prévient l’ancien diplomate, va porter préjudice au développement de la démocratie russe, en rétablissant l’atmosphère de la Guerre froide <…>. Les Russes n’auront d’autre choix que d’interpréter l’expansion de l’Otan comme une action militaire. Ils iront chercher ailleurs des garanties pour leur sécurité et leur avenir”. Critique de l’hubris américaine, M. Jack Matlock, l’ambassadeur des États-Unis en Union soviétique entre 1987 et 1991, note que “trop d’hommes politiques américains voient la fin de la guerre froide comme s’il s’agissait d’une quasi-victoire militaire. <…> La question n’aurait pas dű être – élargir et non l’OTAN – mais plutôt d’explorer comment les États-Unis pouvaient garantir aux pays d’Europe centrale que leur indépendance serait préservée et, en même temps, créer en Europe un système de sécurité qui aurait confié la responsabilité de l’avenir du continent aux Européens eux-mêmes16.

Dans les années 1990, affaiblie par le chaos économique et social, la Russie n’a guère les moyens de défendre ses intérêts géopolitiques. Mais la timidité de sa réaction tient aussi à sa volonté de préserver son statut de grande puissance en tant que partenaire privilégié des Américains. Or, sur ce point, les Occidentaux ont laissé à la Russie quelques raisons d’espérer. Moscou a récupéré son arsenal nucléaire dispersé dans les anciennes républiques soviétiques avec la bénédiction de Washington; elle conserve son siège au conseil de sécurité des Nations; elle se voit offrir de siéger dans le club des grandes puissances capitalistes, le G7. “Il régnait à l’époque une atmosphère d’euphorie, se rappelle l’ancien vice-ministre des affaires étrangères (1986–1990) Anatoli Adamichine, nous pensions être dans le même bateau que l’Occident17”. Les dirigeants russes ne présentent pas tout . de suite l’élargissement comme une menace militaire. Ils s’inquiètent plutôt de leur isolement, qu’ils s’efforcent de prévenir en avançant une série de propositions